Sur les traces des manuscrits médiévaux
Moines, savants, copistes…
Certains lettrés ont joué un rôle central
dans la transmission des savoirs.
La centaine de chercheurs
de l'Institut de recherche et d'histoire des textes du CNRS s'intéresse
à la transmission des savoirs en Occident au Moyen Âge.
RARES sont les personnes qui connaissent – ou ont seulement entendu parler – de l'Institut de recherche et d'histoire des textes (IRHT). «Le découpage académique ne favorise pas une connaissance très large de la maison», avance en guise d'explication Jean-François Maillard, responsable de la section de l'humanisme de l'IRHT. «Nous ne sommes pas doués pour la communication», concède Marie-Elisabeth Boutroue, qui étudie les herbiers et les manuscrits de botanique antérieurs à Linné. Avec une centaine de chercheurs, l'IRHT est pourtant le plus grand institut du CNRS dans le domaine des sciences de l'homme et de la société. Plus ancien que le CNRS lui-même, il a été fondé en 1937 par Félix Grat, un ancien élève de l'école des Chartes passionné par l'édition des textes du Moyen Âge et de la Renaissance et qui projetait de les photographier tous.
Le
thème majeur des recherches de l'IRHT, c'est la façon dont la culture
de l'Antiquité s'est transmise à l'Occident à travers les manuscrits et
les premiers imprimés. Une question d'une actualité particulièrement
brûlante en cette période de mondialisation et du développement
d'Internet.
Un regard différent sur Rabelais
La
discrétion de l'IRHT tient surtout au fait que ses chercheurs explorent
un univers accessible seulement à un tout petit nombre de personnes.
Même parmi les Français qui ont étudié le latin ou le grec au lycée, en
effet, bien peu sont capables comme eux de déchiffrer un manuscrit
médiéval, de le dater, de retracer son histoire et de le situer dans
l'immense masse des textes apparentés dormant dans les bibliothèques
européennes. C'est le travail des philologues. Mais les chercheurs de
l'IRHT poussent tellement loin leurs études des manuscrits et des
premiers imprimés qu'ils ont de cette transmission une vision très
différente de celle qui est couramment admise. On enrichira
nécessairement l'interprétation de Rabelais si l'on prend la peine
d'examiner ses sources anciennes et d'en chercher de nouvelles.
Au
Moyen Âge, la culture antique était véhiculée principalement par le
latin et le grec et, plus accessoirement, l'hébreu et l'arabe. On sait
aujourd'hui à l'IRHT que certains lettrés ont joué un rôle central dans
la transmission de ce savoir. Ce sont les «transmetteurs», des
humanistes d'origines variées, moines, savants, copistes ou encore
hommes de lettres. Le répertoire réalisé dans le cadre du programme
Europa Humanistica en a recensé 2 350 à travers l'Europe. Un chiffre
sans doute sous-évalué. Piloté par l'IRHT, ce projet prévoit de
consacrer un volume entier à un petit nombre de ces humanistes. Le
travail est en cours mais il est colossal. Une équipe met deux ans pour
venir à bout d'une seule monographie. «On croit toujours qu'on va
pouvoir finir un livre sur un transmetteur en six mois mais on
s'aperçoit qu'il y a dix fois plus de choses à découvrir sur lui. On a
besoin de temps. On ne travaille pas dans l'urgence», soulignent Marie-Elisabeth Boutroue et Jean-François Maillard.
Chaque
livre consacré à un humaniste transmetteur de textes donne des éléments
de biographie, de bibliographie, la liste des éditions, traductions ou
commentaires qu'il a publiés ainsi que les préfaces et pièces
liminaires qu'ils ont rédigées. Les transmetteurs ont pour
caractéristique commune d'appartenir à des réseaux savants et
politiques. En règle générale aussi, ils avaient voyagé partout en
Europe. «On peut être un homme de lettres, produire une littérature
passionnante et ne pas être un transmetteur si ne s'opère pas cette
opération étrange qui fait de quelqu'un un maillon de la chaîne de la
transmission culturelle», souligne Marie-Elisabeth Boutroue. A cette époque, les mécènes et les commanditaires jouaient un rôle capital.
L'érudition n'interdit pas la passion. «On a tous un humaniste qu'on a poursuivi pendant des années.» Ces
transmetteurs qui écrivaient, copiaient, collectionnaient ou, plus
tard, imprimaient des livres ne se privaient pas de glisser dans leurs
textes, souvent pleins de coquilles, des anecdotes les concernant. Ils
réglaient parfois leurs comptes avec leurs concurrents. Il ne faut pas
croire qu'à cette époque ils ignoraient les effets publicitaires. «Il pouvait leur arriver de remettre sur le marché une édition de l'édition précédente, sauf le premier cahier», indique
Jean-François Maillard. Pour les aider dans leurs investigations, les
chercheurs de l'IRHT prennent en compte dans un livre des éléments
aussi divers que le cuir de la reliure, la composition du papier, les
gravures, les blasons. L'IRHT abrite aussi dans ses murs une
bibliothèque, des dizaines de milliers de fiches sur les livres anciens
de toutes les bibliothèques européennes, des microfilms. Ils ont aussi
accès maintenant à des copies numérisées des textes anciens.
L'approche
des livres anciens des chercheurs de l'IRHT n'a pas grand-chose à voir
avec le travail universitaire traditionnel sur les textes anciens.
Jean-Marie Flamand en a fait l'expérience. Spécialiste de Plotin, un
philosophe grec néoplatonicien du IIIe siècle après J.-C.,
il cherchait à connaître le sens des textes qu'il étudiait. Depuis
qu'il a rejoint l'IRHT, sa vision de Plotin a changé. La question du
sens s'est peu à peu reculée pour laisser place à des interrogations
sur la nature même des textes du philosophe parvenus jusqu'à nous.
Les livres de la collection «Europa Humanistica» sont édités par Brepols.
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L'IRHT mène un autre projet : dresser un inventaire des manuscrits et
des premiers imprimés présents dans les bibliothèques de France. Elles
ont joué un rôle clé dans la transmission des textes anciens en Europe
au Moyen Age. Anne Bondéelle-Souchier vient de publier un volume
consacré aux bibliothèques monastiques de l'ordre de Prémontré.
Dix-huit abbayes font l'objet d'un dossier. Des reproductions
photographiques permettent de se familiariser avec les écritures des
copistes. Cet ouvrage est avant tout destiné aux chercheurs.
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