Édition : la marmite déborde
Alors que certains guides se contentent
de compiler de vieilles recettes, d'autres
innovent et s'imposent comme des références.
Jean-Christophe Marmara/Le Figaro
Alors que le Web enflamme la stratosphère gastronomique, l'édition se remet en question et lance, pour certains, ses derniers javelots.
PARADOXALEMENT, on n'a jamais édité autant de livres de cuisine. Il fut
un temps où le genre était déserté. Lorsque par miracle un ouvrage sur
les soupes sortait, on pouvait être certain qu'il allait falloir
attendre dix ans avant d'en découvrir un autre. Aujourd'hui, il ne
saurait y avoir de semaines sans un livre sur les soupes, le wok et les
légumes. Les rayonnages sont envahis par une sorte d'armée de nains de
jardins qui parlent le même langage, se copient sans vergogne avec ce
même sourire dentifriciel étiré par le marketing.
Il faut dire que face à cette offensive parfois pathétique se dresse un
concurrent sans états d'âme : le Web. Dans un premier temps, le genre
était hésitant, un peu désarmant, à l'image de cette édition qui, à une
époque, n'hésitait pas à traduire Bocuse de l'allemand...
Il y a aussi de sacrés bons livres, sérieux et légitimes
Mais en très peu de temps, les choses ont sacrément évolué. Pour monter
une mayonnaise, il ne suffit plus d'oeufs de ferme et d'un batteur. Un
clic suffit. Heureusement en attendant que l'ordinateur monte lui-même
le blanc en neige, il nous reste quand même le temps de nous plonger
dans les livres. Car rassurez-vous, s'il y a pléthore, il y a également
de sacrés bons livres, sérieux et légitimes.
Certes, certains chefs rédigent leurs ouvrages comme s'il s'agissait de
dresser des pierres tombales. Ils demandent à des stagiaires de
vidanger leur ordinateur et arrivent le sourire triomphal. D'autres
font les mariolles pour amuser la galerie (Guy Martin, La Cuisine des blondes, chez
Minerva). C'est un genre. Et puis, il y a quelques ouvrages à lire, à
conserver, à savourer. À dévorer. Comme ces classiques encyclopédiques
(Larousse gastronomique, Grand livre de cuisine) qui se mettent
régulièrement au goût du jour. Arrivent également les livres-objets,
des petits coffrets charmants (Éd. Homarus) qui, en un claquement de
pages, vous poussent illico en cuisine. Ken Hom, l'un des plus grands
auteurs vivants, nous confiait que l'un de ses plaisirs secrets était
de prendre un des gros livres de Ducasse avant de s'endormir et de
savourer ses plats rien qu'en lisant les recettes. Il y aura donc
toujours de l'espoir. Le plaisir est un animal irrationnel, évoluant
loin des attendus, des fils tendus par la toile et des canonnades de
l'édition. Il y aura toujours des livres gourmands en quête de lecteurs.
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