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La symphonie des mots
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2 janvier 2011

la littérature jeunesse

Lisez (de la littérature jeunesse)
François Busnel !

Cher François Busnel,

La littérature jeunesse, estimez-vous dans l'une de vos chroniques, vous apparaît comme « une invention marketing destinée à écouler une production souvent mièvre et à soutenir des maisons d'édition en mal de chiffre d'affaire. » Face à une telle affirmation venant de l'un des acteurs les plus importants de la vie littéraire dans les média, nous sommes nombreux à osciller entre l'irritation et l'envie de vous inviter à boire un verre (mais certainement pas un chocolat, invention marketing destinée à attirer une clientèle mièvre dans les cafés en mal de chiffre d'affaire) pour vous éclairer. A la réflexion, cette deuxième option sera la mienne, partant du principe que l'ignorance est dans bon nombre de cas, et dans le vôtre je l'espère, chose réversible.

Plusieurs postulats trahissant votre méconnaissance en la matière émanent de votre chronique. La littérature jeunesse ne serait constituée que de classiques abrégés et de « rescucées plus ou moins niaises de textes que l'on ganerait à faire lire dans leur version original ». Et d'ajouter que nos chers enfants devraient lire « des lectures qui ne sont pas de leur âge »  (sic !) telles London, Verne, Stevenson, Dumas, Maupassant, Simenon, etc...

A ce stade, je me permettrais de vous poser quelques questions : pourquoi faites-vous le métier que vous faites ? Pourquoi lisez-vous et chroniquez-vous chaque semaine de la littérature contemporaine écrite par des écrivains vivants et destinés à des adultes ? Pourquoi ne vous contentez-vous pas de relire Racine et Maupassant et d'inviter vos lecteurs à en faire de même? Au nom des quoi les enfants et adolescents devraient-ils être privés du regard et de la voix d'auteurs contemporains tandis que leurs aînés y ont droit ? Pourquoi, tant que vous y êtes, ne pas arrêter la création en BD et se contenter d'Astérix et de Tintin ? (Adieu Johann Sfar, adieu Marjane Satrapi, adieu Riad Satouf, adieu tous vos camarades. N'essayez pas de raconter le monde, Hergé et Goscinny l'ont fait avant vous.) Pourquoi continuer à écrire des polars et ne pas simplement relire Agatha Christie ? Et enfin, parmi les livres « pour adultes » que vous recevez chaque semaine, combien de grands livres ? Et combien de livres édités avec l'imprimatur des services marketing de telle ou telle maison en mal de chiffre d'affaire?

Soulignons que votre opinion sur la littérature jeunesse en général figure en ouverture d'une chronique élogieuse consacrée à un livre de Danièle Sallenave, contre-exemple selon vous de cette pseudo-littérature indigeste qui encombre les rayons des libraires et les esprits si mal nourris de nos jeunes. Soit. Mais pourquoi alors ne pas commencer chacune de vos chroniques sur Philip Roth ou James Ellroy par « parmi les nombreux livres creux, prétentieux, inintéressants et stupides qui se publient chaque semaine, j'ai choisi de vous parler de celui-ci, qui ne leur ressemble pas » ?

La littérature dite « jeunesse » est un espace de création où des écrivains (et parfois des « faiseurs », mais ni plus ni moins qu'ailleurs) interrogent la perception si singulière que les enfants et les adolescents ont de la vie et du monde, en s'adressant à leur intelligence et à leur sensibilité, à leur humour -qui fait défaut à tant d'adultes-, et à leur curiosité. Avec les mêmes outils que les autres écrivains et poètes (les mots, simplement les mots, sans sucre, sans guimauve, sans petits nœuds roses) ils s'emparent des sujets éternels que sont l'amour, la mort, la guerre, l'amitié, l'ambition, la trahison, la perte, le rêve, pour tenter d'en cerner les contours avec une voix qui cherche à retrouver l'intensité des premiers regards, des premières émotions et du « temps perdu ». Nier cela, c'est nier aux enfants et aux adolescents la place et le respect qui leur reviennent, auxquels ils ont tout autant droit que vous ou moi. Quelle différence alors avec les auteurs « pour adultes » ? pourriez-vous rétorquer. Eh bien, la même que celle qui existe entre une sonate, un concerto et un opéra : jamais qualitative, toujours formelle.

Comme un certain nombre de mes camarades, j'écris des livres pour la jeunesse, pour adultes, des traductions et des scénarios. Je n'établis et n'établirai jamais de hiérarchie entre ces genres, ou ces formes, qui me permettent d'explorer différentes facettes d'un même matériau que l'on nomme la « réalité ». Et si à ce stade vous décidez d'allez prendre un verre ailleurs, j'espère de tout cœur que vous y croiserez (au hasard, car la liste pourrait être très longue) les compagnies éclairantes de Joyce Carol Oates, Christophe Honoré, David Grossman, Claude Ponti,  Ahmed Kalouaz ou le fantôme de ce cher Lewis Caroll, qui vous murmurera peut-être, (autour d'un excellent scotch), combien il est dommage de ne pas savoir saisir la fiole sur laquelle il est écrit « Buvez-moi »...

Bien à vous,


Valérie Zenatti > http://www.mediapart.fr/

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